Percées, n° 6 : "L'atelier: espace de création, création d'espace(s)"

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L'atelier: espace de création, création d'espace(s)

Depuis quelques années, l’atelier d’artiste fait l’objet d’une attention ponctuelle en études des arts. Dans son ouvrage intitulé L’atelier du danseur, paru en 2004, l’essayiste Guylaine Massoutre fait de son incursion dans le studio de Paul-André Fortier l’amorce d’une réflexion sur la pratique créatrice du chorégraphe et danseur – et, plus largement, sur la danse. Dans le silence de l’atelier, le mouvement du corps de l’artiste fait ricochet chez l’observatrice, entraîne à son tour un autre mouvement : celui de l’écriture, du déplié quasi chorégraphique de la pensée sur la page où la réflexion sur la danse se mêle, fluide, à d’autres observations – sur la peinture, le théâtre, le silence, la vie vacillante et fuyante. Habiter jour après jour le studio, y déposer, en retrait, son corps, tout en lui imposant écoute et attention soutenue aux affects et sensations qui le traversent, a ainsi irrigué l’écriture. De l’observation d’une pratique d’atelier a émergé une pratique seconde, scripturaire. Celle-ci, tout à la fois, fait connaître et poursuit, autrement, une démarche créatrice, ouvre grand les volets de l’espace qui la contient – tout en préservant, intacte, une petite part d’ombre ou d’indicible.

Plus récemment, des chercheur·es et artistes-chercheur·es se sont, de leur côté, attaché·es à réfléchir à la pratique et à la représentation de l’atelier d’artiste au Québec et au Canada du XIXe siècle à aujourd’hui. Organisé par les professeurs d’histoire de l’art Laurier Lacroix et Dominic Hardy (Université du Québec à Montréal) et la conservatrice Sandra Fraser (Remai Modern), le colloque « L’expérience de l’atelier d’artiste au Québec et au Canada »[1] a fait s’entrecroiser des réflexions où l’atelier s’est vu saisi au prisme de méthodologies et d’approches théoriques diversifiées. Ce tressage a fait surgir un portrait composite et mouvant de cet espace « [s]ouvent décrit par les artistes comme une pièce à soi, un laboratoire ou même une caverne » et que les coorganisateur·trices de l’événement proposent de définir comme « un espace permettant d’observer la condensation des matériaux, des intuitions, des idées qui y prennent forme et deviennent œuvre ». Mobilisant surtout des perspectives historiques et anthropologiques, les communications présentées ont mis au jour les singularités mais aussi les résonances observables du côté de la pratique de l’atelier en arts visuels : la peinture, la sculpture, la photographie ou encore le vitrail ont ainsi été abordés depuis les différentes modalités de leur espace d’émergence. L’absence d’une « chambre à soi » pour créer a aussi été l’objet de réflexions autour de ce manque comme mise à l’épreuve de la pratique artistique (et de la figure de soi comme artiste).

Ces quelques exemples, bien qu’ils témoignent de la richesse et de la dimension protéiforme du champ d’observations sur l’atelier, s’attachent à des sphères disciplinaires (la danse, les arts visuels) et géographiques (le Québec, le Canada) circonscrites. La dimension proprement poïétique du lieu – sa force agissante sur la création et la recherche-création – s’y trouve, par ailleurs, rarement convoquée. Avec ce dossier thématique, la revue Percées entend participer à cette conversation en marche en y ajoutant une dimension pluridisciplinaire et transdisciplinaire : ce sont les communs de l’expérience de l’atelier que l’on cherche ici, malgré leur dimension mouvante, à épingler – la réflexion sur les arts vivants, qui constitue le cœur du numéro, se trouve ainsi augmentée par le regard porté sur d’autres pratiques, par exemple musicales, saisies de façon transversale. Dirigée par Alix de Morant et Marie Joqueviel-Bourjéa (Université Paul-Valéry de Montpellier), cette publication fait donc s’effriter les frontières, disciplinaires comme géographiques, d’ailleurs, et propose une saisie plurielle de l’atelier comme espace, bien sûr, mais aussi comme site de façonnement créateur pour la conduite artistique comme pour la pensée. Une poïétique de l’atelier est donc à l’œuvre, en filigrane ou de façon affirmée, dans chacun des articles qui composent ce riche dossier. Celui-ci ouvre pour nous les portes de l’atelier et nous invite à y entrer.

Aussi dans ce numéro  

La section « Pratiques et travaux », qui comprend quatre articles, s’ouvre sur celui d’Ana Maria Vallejo de la Ossa, qui s’intéresse à l’utilisation de l’art de la performance dans diverses créations récentes de collectifs artistiques de l’Amérique latine, créations qui conjuguent pluridisciplinarité et hybridité théâtrale au service d’enjeux souvent politiques. Mathieu Bouvier se penche, quant à lui, sur la question du désir dans la danse à partir des œuvres Trio A (1966) d’Yvonne Rainer et L’Après-midi d’un faune (1912) de Vaslav Nijinski, qui reposent sur la réserve et la figurabilité du geste afin de proposer de « nouvelles équations érotiques » pour l’art chorégraphique. Le troisième article de cette section, signé par Enzo Giacomazzi, Isabelle Héroux et Johanna Bienaise, explore les usages de la notion de « partition » par des artistes québécois œuvrant dans diverses disciplines des arts de la scène (musique, danse et théâtre). Avec le dernier texte de cette section, Julie Sermon aborde la capacité du théâtre d’objets à représenter les « échelles démesurées » de l’anthropocène, et donc à donner une consistance sensible et affective de ce phénomène au public, à partir de l’étude des spectacles Birdie (2016) de la compagnie catalane Agrupación Señor Serrano et La Caverne (2018) de la compagnie française L’Avantage du Doute. Enfin, sous la rubrique « Revue des revues », Lydia Couette effectue la recension des numéros 176 et 177 de la revue Jeu, qui ont pour thème, respectivement, « Engagement et éc(h)o » et « Chimères et autres bêtes de scènes », de même que des dossiers « Jouer », paru dans le numéro 238 de Théâtre/Public, et « Théâtres de l’attention », publié dans le numéro 4 de Corps-objet-image.

Contributions au dossier

Thibault Fayner
Mattia Scarpulla
Muriel Piqué
Grazia Giacco & Christine Esclapez
Clarence Boulay
Gwenaëlle Bertrand & Maxime Favard
Céline Cadaureille
Stéphane Ledien

Documents

Sabine Macher

Hors dossier

Ana Maria Vallejo de la Ossa
Mathieu Bouvier
Enzo Giacomazzi, Johanna Bienaise & Isabelle Héroux
Julie Sermon
Lydia Couette

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[1] Ce colloque en ligne s’est tenu sous l’égide du CRILCQ du 3 au 5 mai 2023.