Traduire la danse entre corps, textes et imaginaires

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lieu:  Universität Augsburg, Institut für Europäische Kulturgeschichte

Traduire la danse entre corps, textes et imaginaires
Tanz übersetzen zwischen Körpern, Texten und Vorstellungswelten

 

« L'écriture chorégraphique de Trisha Brown exclut à peu près tout mouvement répertorié, issu soit de la technique classique, soit de techniques modernes codifiées. L'exercice de la traduction est alors utopique, mais apporte un peu de lumière, si ce n'est au lecteur, du moins au traducteur[1] ».

La danse serait-elle un art si indicible que l’absence d’un vocabulaire gestuel déterminé l’exclurait de tout langage articulé ? De ce point de vue, chaque mouvement apparaît intimement subjectif et circonscrit à l’expérience corporelle, laissant affleurer l’imaginaire d’une danse intraduisible[2] – ou du caractère « utopique » de cette démarche. Pourtant, cette citation figure en postface d’un recueil de traduction des textes de la chorégraphe.

Le néologisme Tanzlation, qui donne son titre à ce colloque, vise à désigner l’entrelacs de ces paradoxes, caractéristiques de la relation complexe que la danse entretient avec des phénomènes linguistiques ou littéraires. En effet, ces interactions sont régulièrement appréhendées selon une perspective comparatiste, examinant l’asymétrie, voire la dualité, entre danse et langage. En apparence, tout semble opposer ces deux modes d’expression, l’un sémantique, l’autre kinésique. La translation de l’un à l’autre ne semble pouvoir opérer qu’au prix d’une adaptation synonyme d’une perte essentielle, puisqu’il n’y aurait pas d’équivalence systématique entre les gestes et les mots. D’ailleurs, la danse est régulièrement comparée à un « langage universel » – qui, à ce titre, n’aurait pas besoin d’être traduit.

Prenant acte de ces polarités, ce colloque souhaite solliciter les ressources et les méthodes développées dans le champ de la traductologie pour examiner les multiples relations entre la danse et les langues. À la croisée des cultures européennes – allemandes, françaises, italiennes – il s’agirait d’interroger comment la traduction des textes et des expériences chorégraphiques met en lumière des jeux d’homologies[3], de parallélismes et de similitudes entre les mots, les gestes et les langues qui les expriment. Réciproquement, nous chercherons à observer, dans les discours et les démarches des danseurs, la manière dont les processus de création et de transmission puisent (in)consciemment aux concepts de la traductologie[4]. Nous souhaitons ainsi contribuer à l’émergence d’une nouvelle approche méthodologique qui s’intéresse à la matérialité des traductions émanant du champ chorégraphique, c’est-à-dire aux formes textuelles et gestuelles qui les incarnent, aux processus sémiotiques et aux imaginaires qu’elles mobilisent, aux motivations des acteurs qui les engagent et aux expériences corporelles qui en découlent.

À cet égard, deux phénomènes retiennent notre attention, parce qu’ils interrogent tant les mécanismes de traduction entre gestes et mots (intersémiotique) que d’une langue à l’autre (interlinguale). Ils soulignent ainsi la présence d’une conscience intermédiale et interculturelle propre au champ chorégraphique.

Les problématiques des contributions peuvent se regrouper autour des axes suivants :

  1. Explorer les imaginaires linguistiques et littéraires sollicités par les pratiques de danse et de traduction, pour leur élaboration comme pour leur réception.
    • Existerait-il des porosités entre vocabulaire gestuel et langagier, lorsque l’expérience de danse se dit et se traduit ? Quelles métaphores sont mobilisées pour transmettre la qualité, l’intention, l’orientation d’un mouvement à un interlocuteur ou un lecteur ?
    • Dans quelles mesures l’élaboration des gestes est-elle déterminée par les cultures linguistiques[5] propre à la langue du danseur qui les interprète ?
  2. Interroger les fonctions des traductions consacrées aux œuvres et aux discours de la danse, et en particulier leur pouvoir de médiation entre les arts, les cultures et les langues.
    • Comment, et pour quelles raisons, les artistes de danse traduisent-ils d’une langue à l’autre les textes – traités, récits, manuels, etc. – par lesquels ils transmettent leurs savoirs corporels ?
    • Quels sont les contextes artistiques et éditoriaux propices à la circulation et à la réception de ces traductions ?
    • Comment les traductions successives d'un même texte témoignent-elles de l’évolution des savoirs linguistiques qui structurent les pratiques de danse ? Quelle valeur attribuer aux variations et aux adaptations d’une version à l’autre ?
  3. Envisager la centralité du corps dans les processus de traduction, en particulier lorsque les interprètes investissent une compréhension somatique pour saisir les nuances parfois implicites portées par certains termes ou inflexions corporelles.
    • Comment l’acte de traduction participe-t-il pour les artistes d’une démarche d’incorporation de savoirs tant langagiers que kinésiques, voire d’une véritable transmission de corps à corps[6] ?
    • Comment ces pratiques de traduction se déclinent-elles tout autant dans des formes écrites qu’orales – par exemple via l’audiodescription – qui explorent le pouvoir d’évocation kinésique de la vocalité ?

Ce colloque se donne pour visée d’approfondir la compréhension des mémoires culturelles qui façonnent les corps des artistes de danse, mais aussi favoriser l’émergence de connaissances mutuelles entre les cultures chorégraphiques, les textes littéraires qui s’y rapportent et les savoirs de la traductologie. “Tanzlation – Traduire la danse entre corps, textes et imaginaires” souhaite à ce titre réunir des chercheurs de diverses disciplines (danse, littérature, traductologie, études culturelles, etc.), afin de stimuler une réflexion interdisciplinaire sur ces phénomènes d’entrelacs. Le programme est ouvert à différents formats de contributions : 1° communications académiques individuelles ou en tandem, autour d’études de cas ou d’analyses de corpus ; 2° ateliers d’expérimentations ; 3° dialogues/entretiens avec des spécialistes (p.ex. du domaine de l’audiodescription, de la traduction simultanée etc.).

 

Informations pratiques :

Date : du 04 au 07 décembre 2024

Date limite pour l’envoi des propositions : 04 octobre 2024

Lieu : Universität Augsburg, Institut für Europäische Kulturgeschichte (en coopération avec l‘Université catholique de l'Ouest (Angers) et l’Universität Innsbruck)

Contact : tanzlation@iek.uni-augsburg.de

Langues du colloque : 1° langues principales : allemand, français ; 2° langues supplémentaires : anglais, italien

Équipe organisatrice : Dr. Céline Gauthier (Université catholique de l'Ouest (Angers)), Dr. Eva Rothenberger (Universität Augsburg), Ass.Prof. Dr. Marco Agnetta (Universität Innsbuck), Dr. Bianca Prandi (Universität Innsbruck).

 

[1]      GINOT Isabelle, « Trisha Brown texte et mouvement », in BROWN Trisha, « Skymap » et autres textes, traduit de l’américain par Isabelle Ginot, Revue IF, n°5, 1994, p. 3-13.

[2]      CASSIN Barbara, « Traduire les intraduisibles, un état des lieux », Cliniques méditerranéennes, n°90, 2014, p. 25-36.

[3]      BERNARD Michel, « Sens et fiction ou les effets étranges de trois chiasmes sensoriels », De la création chorégraphique, Pantin, Centre national de la danse, 2001, p. 97.

[4]      Voir l’ouvrage collectif De l'une à l'autre : composer, apprendre et partager en mouvements, Bruxelles, Contredanse, 2010.

[5]      PUNDAY Daniel, Narrative Bodies: Toward a Corporeal Narratology, New York, Palgrave Macmillan, 2003.

[6]      GLON Marie, « Ce que la Chorégraphie fait aux maîtres de danse (XVIIIe siècle) », Corps, n° 2, 2009, pp. 57-64.